Intérieur nuit

Les chats sont sans pitié. C’est sur un bruit de spasmes précédant le vomissement que je me suis réveillée cette nuit. En général, je dors avec des bouchons dans les oreilles, même ici, loin de tout, précisément pour m’éviter ce genre de réveils. Ce qui implique, lors des pipis nocturnes, de ne se déplacer qu’avec des pantoufles en hiver et des tongs en été, car ajouter au désagrément d’un sommeil haché par l’envie de pisser celui de marcher sur un vomi, voire un caca sadiquement laissé sur mon sentier allant du lit à la salle de bains, fait partie des nombreuses raisons qui me précipitent dans la plus noire des lassitudes : « Mais qu’est-ce que je fous dans cette galère ? ».  Et là, en général, deux attitudes (même s’il y en a une troisième, celle de cette nuit) : soit je décide que je m’en fous, je verrai demain, soit je me lève, et nettoie la chose (cul nu avec mes pantoufles, à ramasser avec du papier cuisine (béni soit le papier cuisine dans l’existence que je mène), puis panosser, puis me recoucher et me rendormir – sans omettre de mettre cette fois mes no-tone enfoncés jusqu’aux tympans).

Mais cette nuit, je me suis levée, j’ai cherché les vomis et ne les ai point trouvés : très mauvais signe, ils me guettent quelque part et se jetteront à mes pieds quand je ne les attendrai plus. Agacement. J’en profite pour constater une fois de plus que le chat n’est pas un animal nocturne, en tout cas quand il fait 6° dehors, mais un animal des entre-deux, crépuscule et aube. Autour de moi des paquets de chats. Qui n’ont pas bougé depuis que je me suis couchée. Les trois crevettes en petit tas comme d’habitude, une sorte de très jolie mosaïque d’une dizaine de pièces sur la grande table, mes habituels compagnons de nuit sur mon lit, et plein de chats disséminés partout ailleurs. La plupart dorment très profondément. Quant à Alithia, elle est en rond dans son petit panier rond, plutôt que dans la grande panière dans laquelle elle serait plus confortablement couchée – selon mes critères, mais cela fait longtemps que j’ai renoncé à comprendre les critères de confort du sommeil chez mes chats et ma chienne.

Je vieillis, je commence à avoir des acouphènes constants. Une sorte de chuintement de fond. Quand ils me dérangent trop, du moins l’idée que j’en ai, alors j’imagine que c’est un bruit de vagues au loin. Mais on ne confond pas les acouphènes avec les bruits extérieurs. Et à part une ronfleuse excessivement sauvage, que je n’ai réussi à toucher qu’une fois et dans la foulée à mettre dans un panier pour la faire stériliser (ce qui explique peut-être pourquoi je suis totalement grillée auprès d’elle), et qui dort…à côté de ma tête pendant la nuit, aucun bruit. Rien. Les maisons de pierres sont silencieuses, et lorsqu’on a vécu en chalet, qui grince et bouge et couine tout le temps, comme si le bois vivait encore, là, appuyée au lavabo de la cuisine, le silence me tombe dessus. Je me demande quelle heure il peut être, mais comme l’ordinateur est débranché, mon cellulaire introuvable et que je n’ai pas de montre, je ne sais qu’une chose : il est une heure de plus, et il faudra à nouveau s’exploser l’horloge interne pendant quelques jours pour se recaler dans le temps du monde. Je vis sans heure, c’est un privilège – même si c’est très relatif : j’ai toujours la petite horloge en bas à droite de l’écran quand l’ordinateur fonctionne, et les heures d’ouverture des magasins m’imposent leur rythme. Mais la lune est bien là, et sa lumière blafarde éclaire la maison par le vasistas. J’éteins la lumière, et je mets la lampe frontale : j’adore vivre la nuit à la frontale, voir où je regarde, mais laisser le reste inexister. Quelques yeux phosphorescents de chats qui se demandent ce que je fous…

Et puis une envie me prend : j’ai un très bon whisky écossais que mon amie de l’île en face m’a offert, il y a de ça, on peut dire, des années (deux, il me semble), que je ne bois que par dés à coudre, il me reste des filtres et du papier à rouler Rizla gris, et j’ai acheté du bon tabac en prévison de la visite d’un ami fauché qui fume un tabac absolument affreux, vendu au kilo, et qui a plus ou moins le goût de vieux pied mélangé à de la paille moisie. Alors je m’habille chaudement (ce qui, en cette saison et en cette maison, signifie se déshabiller dans le froid cru et s’enfiler des couches successives, trois aux pieds, deux aux jambes, cinq au torse, telle une oignonne (oh, pardon, onionne) bipède), je me verse un petit whisky – « Oups, j’ai la main lourde, j’en remets dans la bouteille », me roule un clope, et sors en faisant le moins de bruit possible, juste pour avoir un moment seule, sans les chats, à siroter mon (petit) whisky et à fumer mon clope, sous la lune, pour penser à ma mère, Noëlle, morte il y a quinze ans, jour pour jour.

1-noëlle favre 001

17 thoughts on “Intérieur nuit

  1. La solitude du veilleur de nuit… entre chien et loup… entrechats et panthères… et la Lune des Cyclades, si bleue, si calme…

    Cette nuit, couché tôt, je suis arrivé à l’ordi (toujours allumé, car je suis extrêmement lève-tôt) qui venait tranquillement d’avaler une heure. Du coup j’ai mis à l’heure ma fidèle montre trentenaire. Le temps était calme. Un peu plus tard est passé le dernier tram, celui qui arrive à 2h20 les fins de semaines, et qui a lui aussi avalé une heure. Pas de chats. En revanche, sur FB une photo : chez mon fils de nouveaux pensionnaires, deux poussins qui seront des pondeuses dans quelques temps, et les deux petites filles ravies qui les contemplaient. Je ne sais pas ce qu’en diront les chats. Mordred, Darwin et Bulma auront probablement un œil intéressé…

  2. Elle a du être bien jolie ta maman …j’aime beaucoup cette (petite?) odalisque généreuse en marbre semble t’il ?!…..moi cette nuit ,n’ayant pas de rideau ,j’ai reçu un coup de lune et je n’ai pu me rendormir qu’en cherchant l’ombre de la croisée ,moi qui rêve de grandes baies vitrées ,dans ces cas là j’aime bien mes fenêtres à petits carreaux made in normandie!!…..Gros bisous à toi

    • merci isou ! elle était carrément belle dehors et dedans. elle a eu une période merveilleuse de grosses dames qui dansent, et celle-ci est en albâtre, et fait 20-25cm (une carte postale qui traîne dans mon portefeuille, toute usée. ainsi que cette photocopie de photo d’elle que j’avais eu la bonne idée de faire avant que toutes mes photos, sur une 30aine d’années, recoivent dans leur énorme carton une averse, les réduisant, papiers et négatifs, en une sorte de grosse masse encollée : c’est ainsi qu’on liquide le passé). j’ai vu sur le net que deux de ses pièces sont aux enchères à drouot, un albâtre et un buis, mise à prix 50-100€. entre rire et colère.
      je t’imagine, cherchant l’ombre, et peut-être réalisant que la lune va finir par te rattraper dans ton coin, malgré la croisée… la même chose ici : dans ma chambre, la porte plein sud que j’ai remplacée par un plexiglas. les nuits de pleine lune, j’ouvre les volets intérieurs pour dormir dedans-dehors, mais la plupart du temps je finis par les refermer… nuit et silence pour un bon sommeil.

  3. Le silence et la mère : deux éléments essentiels qui sont, l’un comme l’autre, des symboles de la Vie. Le silence de nos nuits… ça doit ressembler à celui qui emplissait nos ouïes d’embryon humain du temps de notre vie intérieure.

    • nos sens étant à la fois fiables mais facétieux, je ne sais jamais si ce que j’entends est dedans ou dehors, et quelle misère de devoir se boucher les ouïes pour vérifier ! je me demande comment on interprétait vraiment les bruits du dedans-dehors quand nous étions dans le ventre de nos mères.

  4. Jolie photo de ta mère, tu lui ressembles… Moi aussi je vois aux chats quel temps ll fait/va faire. Avec cette pleine lune, les températures nocturnes baissent et ils roupillent en tas au lieu de faire les fous.

    Et comme je sais maintenant ton attachement aux dates, je pense à toi.

    • merci chère voisine.
      là, le chatmétéo est clair : dedans la journée dehors la nuit ! je commence à me tâter pour enlever quelques couches de fleece dans mon nid à dormir. mais bon, tu as vu, va falloir se méfier jusqu’au 1er mai !

  5. Superbe texte encore, merci !

    Hier soir, une amie était à la maison… elle a dormi en bas avec les chiens (la mienne dans son pnier – et les deux siens collés à elle, sur un – petit – canapé-lit ! ils pèsent 25 et 28 kilos…)
    … ça a suffi à « déclencher » les chats (4, Zoz, c’est gérable ! ;-) )
    Du coup, je n’ai pas perdu qu’une heure de sommeil cette nuit… ça feulait et me passait sur le corps à qui mieux mieux ! ! ! Cet aprem, sieste !……

    Tu sais, ma mère à moi est morte le Lundi de Pâques de 1998.
    Elle se prénommait Louise, et elle avait appris à aimer son prénom : une admiratrice de Louise Michel :-)

    • ah ça, les coups de folie nocturne des chats, c’est quelque chose ! c’est pour ça, no-tone a priori, j’entends et je roupille. c’est au matin, qu’on constate les dégâts. bon, ça me fait des réveils un poil rouscailleurs, c’est vrai.

      c’est un beau prénom, louise. ma mienne était née à noèl, et pour rigoler, elle disait qu’elle mourrait à pâques. ça n’a pas loupé, la coquine, le 26 mars était un jour de pâques cette année là, comme cette année. nos mères… même en devenant de vieilles croûtonnes, si on s’est bien entendu avec elles pendant la vie, ben elles nous manquent tout le reste du parcours…

      • C’est une manie dans la famille : ma grand-mère maternelle qui m’a élevée était née le 14 juillet 1893, et elle est morte le 24 décembre 1989…

        Du coup nos mère se sont arrangées pour voir deux dates de décès…. la mienne était très étouffante mais elle m’a longtemps manqué quand même (à cause de ça ?).
        J’avais l’habitude de dire : ma mère est une femme formidable – il vaut mieux simplement ne pas être sa fille…

        • elle s’est fait les naissances, ta grand-mère : naissance de la république et naissance de jésus. tu te rends compte : on a un pied dans le XXIème siècle et certains de nos grands-parents sont nés au XIXème siècle !!! mon grand-père maternel est né en 1895….nos grands-parents ont vu arriver l’électricité, les bagnoles. mon grand-père voulait pas prendre son samedi de congé, il avait l’impression de voler le patron.

    • c’est très beau. un usage enfin intelligent de ce boléro. paraît que ce morceau est le plus joué au monde, pas une minute pendant laquelle il n’est pas entendu au moins quelque part. je serais ravael, et j’aurais composé ce qu’il a composé par ailleurs, j’en serais consterné.

    • bah, il y a des chats pachas, des pas chats pachas, des pas chats pas pachas, et des chats pas pachats. merci antoine !

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