Dans une vie antérieure, et même dans plusieurs, j’ai touché le clavecin. Je n’étais pas douée, et j’ai commencé beaucoup trop tard. Mais je suis une pure claveciniste et ce fut une histoire d’amour qui a duré tout de même 25 ans. Rien, rien au monde n’est aussi enivrant, jouissif que toucher un clavecin : la sensation dans les doigts de ces touches qui résistent puis cèdent, rien n’est aussi sensuel. Si je garde un amour douloureux bien qu’informé pour l’instrument (j’écoute du clavecin toujours avec un pincement au cœur), par contre Johann Sebastian Bach reste au centre de mes goûts musicaux. Tout Bach (sauf peut-être un peu moins le répertoire pour orgue, pour la raison bête que je n’aime pas l’instrument…). Et donc clavecin + Bach, c’est comme l’air qu’on respire, la terre qu’on parcourt, et tout ce qui est beau qu’on entend.
Ce matin, en écoutant France-Culture, j’apprends qu’il y aura à Paris, à la Cité de la Musique, 10 jours de clavecin sur instruments anciens, et tout le gratin des clavecinistes jouera tout Bach. Le délire ne serait-ce qu’à imaginer. S’il y a une chose, UNE, que j’aurais aimé vivre, un événement musical qui n’arrive qu’une fois dans une vie, quelque chose pour lequel j’aurais fait des pieds et des mains pour en être, vivre une extase de 10 jours, pas moins, avec ce qui touche mon cœur avec tant de puissance, Bach et le clavecin, c’est bien cette chose-là.
Evidemment, je maile l’annonce de ce voyage au Paradis de la Musique à tous les gens que je soupçonne avoir le temps, la capacité, le goût, l’argent, l’occasion d’y aller. Pour moi. Là-dessus, une amie me répond : « Mais pourquoi tu n’y vas pas ? Il y a des vols pas chers ! ». Pour qui connaît ma situation financière, c’est une question qui ne m’est jamais posée. Mais pour qui ignore la mouise dans laquelle je me noie, effectivement, je dois bien répondre : « Pas de fric ». Et là, mais ce n’est que la nième personne qui m’interpelle dans ce sens, « Ce que tu fais, c’est bien beau, mais tu sacrifies ta vie/ton argent pour tes chats » . A quoi je réponds, logiquement , que tout dépend de ce qu’on estime être le sens d’une vie.
C’est clair que ce matin, j’étais fâchée contre les chats, contre moi, contre la vie que je me suis faite, contre la nasse dans laquelle je me suis enfilée sans plus trouver de voie de sortie. Fâchée et infiniment frustrée, plus frustrée que je ne l’ai jamais été ces dernières années, je dois dire, même si le fait de ne pas avoir les moyens ne serait-ce que de partir 3 ou 4 jours ailleurs, voir autre chose, faire autrement, avec d’autres gens, dans un autre horizon est frustrant. Mais pas autant que ne pas pouvoir aller à la Cité de la Musique vivre ces 10 jours « faits pour moi »…
Et donc il faut bien que je me pose la question du sacrifice de moi-même pour une centaine de chats – et une chienne. Du sens que cela a. Je mourrais maintenant, j’aurais accompli deux choses : j’aurais maintenu en vie, une vie digne et heureuse, un nombre impressionnant de chats, et une chienne, et j’aurais planté au gré de mes jardins une bonne cinquantaine d’arbres. Voilà, c’est tout. Ensuite, si je fais la liste de ce que je n’ai pas accompli, on n’est pas sortis de l’auberge… En gros, tout le reste. Est-ce que ce sont les choses accomplies qui donnent du sens à la vie ? Je le crois.
La raison qui a fait de moi une végétarienne très veggie (même si à éclipses, au fil de mes vies antérieures) c’est la conscience très profonde, viscérale que rien de moi n’est assez important pour qu’on lui sacrifie des bêtes. Rien n’est assez unique, exceptionnel, rarissime, précieux, bref important pour qu’au nom de moimoimoimoimoi, des bêtes vivent une vie de merde, une mort effroyable, et entre deux aient peur et souffrent. Rien du trajet entre ma bouche et mon anus ne mérite cela. C’est une question de priorités.
Alors c’est vrai que la Sylvie qui a fait du clavecin et qui aime Bach, celle aussi qui voudrait un peu plus de ceci, un peu moins de cela, celle dont le nombril est le centre du monde, celle dont les désirs, et fantasmes, et besoins, et autres gâteries de la vie, dans la vie, sont à l’alpha et à l’oméga de toute l’existence, cette Sylvie-là est complètement entre parenthèses. Je ne veux pas dire « sacrifiée », parce que je ne suis pas assez centrale, pas assez essentielle au monde pour qu’on nomme cela un « sacrifice ». Il se trouve qu’aller à Paris me baigner dans du Bach pendant 10 jours, malgré tout le désir que j’en ai, ne donnerait aucun sens à ma vie, sinon une satisfaction hic et nunc de la moimoimoimoimoi. Par contre, m’occuper des chats – et de la chienne, cet accomplissement-là, aussi dérisoire et fou qu’il semble (et peut-être qu’il est) est une manière de donner sens à la vie.
De toute façon, le sens de la vie, on n’en sait rien. On pourrait penser que c’est un acte, à un instant, on ne sait même pas si on l’a déjà accompli ou pas encore, simplement le fait d’aider un jour quelqu’un à traverser la rue, un jour replanter un arbre déraciné, dire « Je t’aime », téléphoner juste pile poil au bon moment, tricoter une écharpe à une inconnue, ou sourire à un autre sourire. Imaginons : on est là pour une seule chose, mais l’astuce, c’est qu’on ne sait pas laquelle. Donc tout ce qu’on fait importe, parce que c’est peut-être cette chose-là qui donne sens à toute l’existence. Ou cette autre-là.
Alors je n’irai pas à la Cité de la Musique écouter Bach sur instruments anciens, mais je suis très heureuse que cet événement advienne pour d’autres. Et maintenant, je vais nourrir les bêtes, c’est l’heure, le soleil va se cacher derrière la colline.
J’avais lu un jour, sur un mur de Paris, en rentrant du boulot en bus un graffiti du genre « la vie n’a pas de sens, elle en a plusieurs »…
Dommage pour tes 15 jours de concerts (qui me laissent personnellement complètement froide). Je souhaite qu’un jour tu aies la même occasion et que tu puisses réaliser ce rêve. Qui sait… si on n’y croit pas, rien ne se passe. ;o)
une série de concerts comme ça, c’est une fois dans la vie. on a toutes et tous LE truc auquel on sait qu’on doit aller, parce que ça réunit tous les rêves les plus fous. mais c’est vrai que j’en suis pas à un loupé près !!! j’en fais même la collection.
Bises Cigale
bises philou ! les gros doigts même pour ton nom ???
très chère Sylvie, je suis déçue pour vous de ne pas pouvoir vous rendre à Paris écouter bach… mais vous avez une vie qui a un sens, vous donnez de l’amour à qui sait vous le rendre… Moi aussi, il y a des voyages que j’aimerai faire, mais je préfère donner à ceux qui ont besoin… Tous les hivers, je tricote 15 pulls pour le secours populaire ou catholique, qu’importe, c’est mon petit bonheur, et chaque fois que j’ai une envie, je me dis : Anne-Marie, en as-tu vraiment besoin..? et non, alors, je passe outre, et j’en suis fière.. si vous avez un appareil pour écouter bach, je vous envoie un cd, sinon, je peux vous envoyer un mp3 et je demanderai à Gus, de vous enregistrer du Bach…. une petite réponse sur son blog…. bonne journée – je vous embrasse fort Anne
merci chère anne-marie mais des CD de clavecin, des CD de Bach, et des CD de Bach sur clavecin, j’en ai. mais l’occasion d’entendre ces instruments absolument mythiques dans le milieu des clavecinistes jouant le compositeur qu’on adule sans aucune restriction, c’est juste ça que je loupe. entendre un claveciniste jouer du bach sur instrument ancien, cela aurait été un petit peu comme entendre bach soi-même… vous ne tricotez pas que des pulls, ma chère, n’est-ce pas ? et j’ai pu admirer les petites merveilles que vos doigts savent faire sur votre site !! et comme vous dites, arriver à faire taire la petite chanson des besoins-caprices » moi je veux ci moi je veux ça », et surtout en être bien plutôt que mal, c’est une bonne sagesse. surtout si c’est par ailleurs pour faire ce qui semble être juste autour de soi.