Il y a un peu plus d’une semaine, une amie est venue sur le terrain autour de la maison récolter des câpres : il y a au moins une dizaine d’énormes massifs de câpriers en pleine floraison, de quoi remplir des bocaux par kilos. Une agréable occupation de fin de journée, d’autant que les plantes sont belles, les fleurs somptueuses et étrangement parfumées (elles sentent le câpre, mais version florale…), et la récolte des boutons très abondante.
Je réserve mes efforts de glâneuse aux câprons, les fruits de cette plante, qui ressemblent à de petits ballons de rugby pleins de petits grains : même goût mais une consistance que je trouve plus agréable. Pendant cette cueillette, nous étions toutes deux en train de deviser aimablement, entourées, voire encerclées par une multitude de chats : ils adorent accompagner leurs humains dans leurs activités en plein air, et certains des miens vont même jusqu’à nous accompagner, les chiens et moi, dans notre petite marche quotidienne en boucle autour du village.
Le fait d’avoir plusieurs dizaines de chats et de les avoir en général tous nommés étonne assez souvent mes visiteurs. Et donc, au fur et à mesure du passage de mes bêtes entre nos jambes, sur nos pieds, caressants et joyeux, jouant à saute-chat, explorant les amandiers et les figuiers surplombant les massifs de câpriers, mon amie me demandait, en une sorte de politesse, comment ils s’appelaient, et j’égrenais leurs noms : « Voilà Sébastianos mon amoureux, ça c’est Bobby Ze Blob, là la petite Mirsini, léger plumeau brun, et puis P’tit Loustic, Mélissa, Ma Dahutte, Patch, Splatch, Gingembre, Bohu-Tohu, Mes Lusines, Houdini… ».
La litanie se poursuit, et cette amie désignant le chat dernier arrivé vers nous : « Et lui, comment il s’appelle ? », je regarde, « Lui c’est… » et soudain c’est le blanc. Ce chat, je l’ai nourri tout bébé, c’est mon super gros pépère, en fait mon plus gros et grand chat, il a toujours un petite croûte sur le nez qui m’inquiète beaucoup (car le cancer du museau est ici fréquent), museau que je tartine assez régulièrement de crème antibiotique à la cortisone, au-cas-où, et puis c’est un fidèle, un ancien, il dort dans la tonnelle, il pousse des petits cris tout le temps quand il me regarde, il est raide dingue de lait, même en boîte très dilué, il a toujours un coup de griffe assez vicieux en direction d’Alitheia ou de Roudi dès qu’ils passent à sa portée, bref, ce chat je le connais, je l’ai nommé 100 fois ? 1000 fois ?
Et pourtant, je le regarde, et c’est vide, le vide, le silence total, et je comprends très exactement ce que signifie « un trou de mémoire », parce que c’est bien de cela qu’il s’agit.
Et cela n’a rien à voir avec ce que tout le monde connaît, ce mot ou ce nom qu’on a sur le bout de la langue, on sait confusément qu’il a tant de syllabes, ou tel phonème en plein milieu, ou qu’il commence par telle lettre. Et que pour finir on retrouve, comme une illumination dans un moment absurde (Eurêka ! Mais c’est bien sûr !), ou après une recherche systématique (bon, ça commence par un D, donc DA…DE…DI…DO…DU…), ou via une définition (mais oui, ce truc sur lequel le peintre pose sa toile), ou via un synonyme (une glissoire). Comme j’ai un peu étudié, durant ma vie universitaire, la question de la mémoire en classe, que la mienne est plutôt eidétique, mais globalement très mauvaise, la question m’intéresse et je m’ausculte régulièrement, car avec l’âge, et, d’une certaine manière, le sous-emploi dramatique de mon cerveau, je constate une tendance à oublier des mots, des noms : j’ai donc, toujours à portée de main, avec un stylo enfoncé dans la spirale, un petit carnet dans lequel je note soigneusement, avec la date, les mots ou les noms oubliés une fois retrouvés et les ruses pour les restituer à la mémoire (internet, recherche alphabétique, synonymie, le simple fait de laisser travailler et passer la nuit dessus, etc.),
Mais pour ce chat, ce chat bien aimé, pas un chat de passage que je n’ai nommé qu’une fois et sans conviction, mais Mon Gros Pépère, rien. Pour les noms des chats, je dois dire que je ne m’aide pas : je leur donne énormément de surnoms, de noms doubles, parfois ce sont des mots en grec (Mikri, Polifimi…), parfois des délires verbaux qui prennent le pas sur le nom (ma croustade poilue et délurée, Piquette Mimi à trois points). Et donc, comme il s’agit un vrai trou de mémoire, je ne sais même pas dans quel tiroir chercher : les délires ? Les mots en grec ? Les prénoms humains ? Je le regarde, je me dis : « Simon-Pierre ? Cachou ? Balbuzard pêcheur ? Daaaa…. ??? Boooooo…. ??? ».
C’est comme si, à l’exact moment où mon amie m’a demandé le nom de ce chat, et que ce nom était dans les tuyaux juste avant l’énonciation, quelques particules élémentaires à peine existantes et en voyage dans l’espace-temps, elles qui en général traversent quasi tout pour quasi l’éternité, avaient croisé dans mon cerveau les neurones et les synapses en charge du transport de ce nom jusqu’à ma bouche, et les avaient annihilés, dans une infinitésimale explosion, annihilant du même coup ce qui y était transporté… et ne laissant qu’un trou, de mémoire. Un effacement instantané, et que je sens irréversible.
Depuis, des mots et des noms m’ont échappé, mais je les avais sur le bout de la langue, et un peu de gymnastique mentale m’a permis de les retrouver. Mais pas dans ce cas. Je me demande bien sûr s’il s’agit d’une occultation par refoulement, comme un nom qui me rappellerait quelque chose que je préfère oublier ? Mais comment savoir, puisque je ne sais plus rien de ce nom. Je pourrais le retrouver, par contre, dans le blog, ou dans mes posts sur FaceBook, comme légende fort probable de photos du pépère roux et blanc : ce chat, je l’ai souvent photographié, et nommé, parce que c’est le chat qui dort dans la tonnelle, le chat qui a une croûte au museau, le chat qui fait «Mi !» à répétition chaque fois qu’il me regarde, le chat qui traumatise avec Gingembre les chiens, le chat qui justement fait couple avec Gingembre pour des balades flanc contre flanc… Chaque fois que je le regarde, j’essaie de faire le vide, de ne rien me dire, de laisser venir, mais seul le vide me répond, et rien ne vient. Je ne vais pas chercher à retrouver ce nom via ce que j’ai pu dire de ce chat (qui, j’en suis persuadée, s’en fout totalement), parce que je veux voir si, un jour, il ressurgira comme par enchantement dans mon lexique mental.
Toutefois, j’essaie, malgré cette sensation d’irréversibilité d’un véritable « trou » de mémoire, de retrouver ce nom moyennant une sorte de jeu linguistique qui est également un moyen absolument formidable de… combattre mes insomnies ! Tout le monde pratique le « A A A A… B B B B …. C C C C… » pour essayer de retrouver un mot. Et bien c’est exactement ce que je fais chaque fois que j’essaie de m’endormir ou de me rendormir : je décide d’une lettre, et j’évoque, avec en arrière plan l’idée d’un gros TILT si d’aventure le nom du chat passait par là, en quelque sorte tout le lexique commençant par cette lettre, noms, adjectifs, verbes, adverbes, qui tournoient dans mon esprit et finissent par danser, s’associer, faire des suites, des phrases, des histoires. C’est très amusant, et surtout cela aide beaucoup à faire taire les idées noires de la nuit, celles qui empêchent de dormir. Et donc celles qui empêchent d’oublier (et) de rêver…
C’est l’effet de la chaleur depuis deux nours, dès que le vent est tombé aux Cyclades 🥵😁.
Je me trouvais à Tinos, je viens d’arriver à Naxos et dans 3 jours je retourne à Syros.
hahahaha, si au moins je pouvais attribuer ce trou dans la raquette au climat ébouriffant – et assoiffant – des cyclades ! mais hélas… par contre, pour ne pas faire immédiatement l’hypothèse d’un alzheimer précoce, je dirais qu’à force de parler peu (voire pas du tout certains jours, car je ne « parle » pas beaucoup avec mes bêtes), tout en fonctionnant très bien sur le net, je me dis que c’est plus de l’ordre de la fatique, de l’usure et du non emploi… enfin, j’espère.
et je n’ai toujours pas retrouvé le nom de mon chat
et dans la nuit, on l’entendait traîner les pieds sur son chemin en castine et chantonner une litanie interminable de ce qui semblait être des noms… : « hughes, pétrisson, garamuche, vélodroumdroum, nestor, zébulon… »
Quel talent de narratrice !
Même cette petite amnésie devient sympa devant ce déferlement de mots.
Mais tu réfléchis trop, sur beaucoup de choses, un jour ça va disjoncter, et le principal, c’est d’abord toi, si attachante…
hahahahaha, j’aime bien ce « un jour » !!! OUIIIIIII ? et qui te dit que ce jour n’est pas arrivé ??
et je n’ai toujours pas retrouvé le nom de mon chat
c’était en faisant sa vaisselle que la petite roue des noms tournait le mieux, le petit bonhomme « je me souviens » ouvrant avec célérité et enthousiasme les tiroirs du « était-ce », les refermant tout aussi vite, en ouvrant d’autres, sans autre résultat que celui d’arriver à la fin de la tâche ménagère la tête pleine de mots : « bézute, rivonnet, agapimou, pépèresévère, luc… »
Ma Cigalinette, j’ai exploré une bonne vingtaine de tes anciens billets (en remontant même jusqu’à 20018), espérant tomber sur la trombine de ce mimi au museau abîmé… Et donc éventuellement son patronyme. Mais je suis malheureusement revenu bredouille.
Désolé. 😔
mon zuzule !!! si tu es remonté jusqu’en 20018, alors oui, effectivement, il n’y a plus aucun espoir !!!!
je me mooooooooooooque ;-)
ben non, toujours pas. toi tu as bien eu du courage et de la gentillesse, à essayer de me poser sur le bout de la langue le nom du chat. je n’ai pas essayé de mon côté, je m’observe, me teste, me mets au défi, et toujours rien. par contre, pour le sommeil, ouvrir le dico mental sur une lettre (en réalité je suis l’ordre alphabétique) et évoquer les noms, adjectifs, verbes commençant par cette lettre, les composer, en faire des phrases, laisser mon imagination flotter autour, jouer avec ces images reste efficace et amusant (et il me semble bien que grâce à cela, je garde mieux en mémoire mes rêves – en tout cela coincide)
« bientôt l’heure du repas, ils se sont donné le mot, et les voilà surexcités, entrant et sortant l’air très affamé, j’en profite pour faire une petite révision, pourquoi le nom de mon gros pépère m’échappe, alors que je me rappelle tohu bohu, sébastianos, p’tit loustic, gingembre, mélissa, métis, mikri, mes lusines, bobby ze blob, irini, georges, rouquinette, abousimbel, amabielle antoinette, andromaque, buzette, bellebacall, chryssssssos, bohu tohu, houhouhoudini, fétigre, nénette, fégrise, colette… »
Quel plaisir d’avoir des nouvelles des « chats de Syros », et de vous!
Je suis, moi, à Tinos et m’occupe des chats de Tinos qui en ont autant besoin que sur les autres îles. Heureusement, nous sommes nombreux ici à veiller à leur bien-être. J’ai dû aller à Syros pour consulter un spécialiste (c’est le vide médical à Tinos), et j’aurais bien été vous rendre visite, je pense souvent à vous. Mais comment vous trouver?….
heureuse de vous lire, et j’espère que votre situation médicale a pu se résoudre sans devoir aller jusqu’à athènes !!! quant à me trouver, ma page administration du blog me permet de voir les adresses mail, donc je vais vous envoyer un coucou via gmail, et prendre ainsi contact.
– tu as entendu ? elle parle toute seule la vieille en face qui part en balade avec ses deux chiens ?
– oui, c’est bizarre, on dirait qu’elle récite le dictionnaire
et dans le silence, michalis et maria écoutaient, légèrement perplexes, la zinzin aux chats égrener : « amour, aimer, abaisser, alun, avis, aveugle, atermoiement, acmé, abuser, avertir, antre, accueillir, accus, azalée, azolimnos, asperge, aligoté, aaa… «
Bonjour.Comment se fait-il que,vivant en Grèce et forcément témoin de l’effrayante prédation exercée par les chats (animaux domestiques des humains),vous n’ayez pas de compassion pour les animaux sauvages qui sont victimes de ces compagnons sur lesquels se focalise votre bienveillance?Je suis en Grèce depuis un mois,je m’y rends souvent,et là où vivent des chats il n’y a pas d’animaux sauvages,ni moineaux,ni fauvettes, ni chouettes ni petits ducs,ni lézards…et s’ils s’y risquent,ils sont torturés et massacrés.Benevole pour la faune sauvage en France,j’essaie de comprendre ceux qui prétendent aimer les animaux et n’ont cure des souffrances infligées par les chats,ni ne veulent songer à mettre fin à leur divagation. Je vis aussi avec des animaux de compagnie,je me suis promenée hier en forêt de Ranti à Ikaria avec mon chien en laisse.
eh oui, ça fait partie des contradictions. je connais des vegans qui ont des chats et des chiens et qui ne les nourrissent pas qu’aux haricots et à la salade, c’est fou, c’est contradictoire, c’est notre situation dans un système biologique qu’on a perverti en étant des méta prédateurs destructeurs, trop nombreux, trop énergivores, et de toute façon « trop ». d’ailleurs, que de destructions multiples, et ceci sur des siècles et des siècles, a-t-il fallu faire pour que VOUS, touriste en grèce et donneuse de leçon, vous puissiez vertueusement vous promener avec votre chien en laisse sur l’île d’ikaria ?? balayez devant votre porte, c’est la seule réponse que je peux vous donner.
je n’aurais su répondre aussi élégamment à ce commentaire plutôt désobligeant :) où est-il dit que vous n’avez aucune compassion pour la faune sauvage???
j’aime aussi les chats, je sauve le plus possible les lézards que les minettes me ramènent, pour les oiseaux, quand ça se produit c’est souvent trop tard… ma compassion ou non-compassion ne changera rien à l’affaire, je me « contente » d’être le (ou la?) plus responsable possible de mes chattes avec lesquelles je partage ma vie.
je vous envoie un lien sur les animaux « domestiques » qui a nourri ma réflexion, sans que pour autant j’en partage tous les avis :) j’en ai parlé avec une amie qui a chiens, chats et mage plutôt végétal qu’animal, elle aussi aurait pu répondre « balayez devant votre porte » :)
au plaisir ! j’ai beaucoup aimé aussi les photos des oies et de l’hiver en Grèce
https://reporterre.net/Chien-chat-Comment-avoir-un-animal-quand-on-est-vegane?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo
je vous réponds plus longuement demain ou après demain, je pense que j’aurai un peu de temps pour le faire à tête reposée. mais sur l’article, cette phrase : « « Contrairement aux chiens, qui sont omnivores, les chats n’ont pas d’autres choix que de manger de la viande. De ce fait, je me sens moins coupable de lui donner sa nourriture, sans pour autant en consommer moi-même. » »… tout est là, car en réalité on devrait se sentir tout à fait coupables, et on parle pas de culpabilité genre moralisante gnangnan dans sa tête, mais de VRAIES culpabilités. je suis absolument d’accord avec le post désobligeant précédent, et ma réponse n’est pas du tout une pirouette. je pense qu’effectivement mes chats sont une catastrophe environnementale, d’ailleurs je le constate tous les jours. mais je vis de manière contradictoire (avoir des chats ET être veggie ET m’inquiéter pour l’environnement, la biodiversité en particulier locale), très mal merci, je n’ai aucun moyen de résoudre cette aporie catastrophique, mais je me place (plutôt que dire « je me console », ce qui serait assez faux-cul) parmi des milliers et des milliers de gens, dont cette personne, touriste avec son chien à ikaria, qui vivent des situations consciemment ou non extrêmement aporétiques, et qui ne trouvent (volontairement ou non) aucun moyen de résoudre ces apories. dans ce sens, je trouve l’article dans reporterre extrêmement complaisant, mou du genou, plein de faux fuyants.
j’ai trouvé le ton de la personne du post précédent extrêmement désagréable je dois dire, donc j’ai répondu a minima. mais vous méritez, à cause de votre conscience du problème, bien mieux qu’un simple « balayez devant votre porte ». et donc j’aurai grand plaisir, à mon tour, à échanger avec vous autour de ce sujet très difficile.
… et les mois ont passé, et le problème est le même …
désolée Danielle !
Bonjour. Je pense balayer devant ma porte depuis longtemps et très activement, sans être jamais satisfaite de mon travail. Vous semblez avoir pris conscience de la relation de cause à effet entre divagation du Chat domestique et effondrement des populations des espèces de la petite faune sauvage. Peut-être même des souffrances infligées par les chats…Reste à tirer des conséquences, avec la difficulté que cela représente. Face à l’abîme, on écrit « balayez devant votre porte »? J’espère pour vous que vous avez trouvé dans votre réponse de quoi vous féliciter, avec vos admirateurs, de votre engagement personnel pour les animaux. Vous contribuez sans doute à la progression d’une prise de conscience, en Grèce, du caractère sensible des animaux. Peut-être réussissez-vous à obtenir le désentravement des chèvres et des moutons, l’abandon des pratiques d’empoisonnement? Partout, nous sommes une minorité en action, au travail.
Mais il reste que les animaux domestiques devraient rester sous le contrôle de leurs détenteurs et que si jamais la page de la domestication pouvait être tournée, ce serait un immense progrès.
» J’espère pour vous que vous avez trouvé dans votre réponse de quoi vous féliciter, avec vos admirateurs, de votre engagement personnel pour les animaux. » mais comment voulez-vous trouver un terrain pacifié de discussion entre nous quand vous me sortez quelque chose d’aussi manifestement méprisant ? peu importe d’ailleurs, j’essaie de faire au mieux de mes possibilités très limitées (par la langue, l’argent, le réseau social, la situation géographique, etc.), et je suis certaine que vous de même. sachez néanmoins que chaque fois vous venez en grèce avec votre chien à la laisse, vous alimentez la prédation touristique qui est en train de tuer ce pays : en avez-vous conscience, puisque vous avez la prise de conscience à la bouche/au clavier si facilement ?
C’est lui que tu avais renommé « anonoma » ?
oui, mon gros piston d’amour. jamais retrouvé son nom d’avant. son petit cri me manque. et Gingembre se languit de son copain, même s’il a retrouvé un pote en Bibu qui ne demandait que ça.