Les mères chattes, ce sont de drôles de types. Elles mettent à l’épreuve leurs petits. C’est l’ordalie des chatons, et ça passe ou ça casse.
A mes débuts de mémère à chats, lorsque je vivais à Poseidonia, une mère chatte et ses cinq petits avaient disparu, du jour au lendemain. Ayant déjà vécu un déplacement de chatons avec Zoulimama en France, je supposais qu’elle les avait simplement emmenés un peu plus bas, ou un peu plus haut, dans un endroit un peu plus confortable (voire un peu moins), ou un peu plus sécure. Je les ai beaucoup cherchés ce jour-là. Et les suivants. Mais point de chatons, point de mère chatte.
Lorsque Zoulimama, sur France, avait eu ses petits, je lui avais aménagé un 5 étoiles super génial, tout confort, avec parcours d’éveil en cartons emboîtés, avec portes et machicoulis pour les petits, un peu de soleil en fin de journée, des bouts de vieux pulls bien confortables et doux pour dormir en ronronnant, des petits jouets. Bref, j’aurais été mère chatte ou chaton, j’aurais bien aimé vivre là. Un jour, retour du boulot, plus personne dans mon mini palais. Coup au cœur, mais faut dire, c’était ma première mère chatte-avec-ses-petits ! Je commence à chercher partout partout dans la maison, en haut, au milieu, puis en bas. J’entre dans la buanderie, une sorte de minuscule couloir avec juste la place pour la machine à laver, et toute la tuyauterie de la maison. Un peu humide, plutôt froid, et je dois avouer que mes jours de ménage, ce n’est pas là que j’allais le faire en priorité : donc assez crade, surtout derrière et sous les choses. J’entends un « mi » parfaitement reconnaissable, et voilà les petits , entassés entre le mur et l’arrière de la machine à laver, à peine la place pour Zoulimama les allaitant, dans la poussière, les minons, à l’humidité, au froid. Bon, je fais mère chatte bis, je descends un carton, un pull au fond, pousse la machine, installe tout mon monde dedans. Une heure après, les chatons étaient de retour dans leur vilain nid. J’ai laissé tomber.
Mais à Poseidonia, ils avaient purement et simplement disparu. Un soir, je vais me balader vers la pointe Sud : c’est une belle promenade, dans le maquis cycladique, thyms, sauges, inules, épineux, cailloux, une chaleur d’enfer la journée, mais de belles couleurs et de bonnes senteurs le soir. Pratiquement aucune construction, une route poussiérieuse, je jouis de la promenade, et voilà un des chatons, comme un œuf de Pâques, et puis un autre, et encore un troisième. Les deux autres, disparus, la mère invisible. A un bon kilomètre de chez moi. Quand elle les avait emmenés, ils marchaient à peine, c’était encore de petits machins tout raides, le poil hirsute, la queue droite, à peine capables de monter des marches. Ils sont là, il n’y a rien autour, aucun buisson pour s’abriter la journée, pas une goutte d’eau sur des kilomètres carrés. Dilemme : les embarquer ? Mais si la mère revient ? Et si en fait les deux petits restants ne sont pas morts ? Alors j’ai fait cette balade tous les jours, amenant tous les soirs de quoi manger et boire, ainsi qu’un gros carton arrimé au sol avec des pierres dedans, pour l’ombre… Je ne les ai jamais revus, mais à chaque retour, les bols d’eau et de croquettes étaient vides. Comment commence une aliénation…!
Pour l’instant, Copain d’ici et sa mère sont là. Et Copain d’ici est en pleine forme.
Mais la super mama noire, drôle de gueule (elle a des oreilles comme les chiens loups, droites et étroites) aux gros nénés, et pas franchement aimable, a disparu cette nuit avec ses quatre petits. Un tigré chouchou (à tous les coups une femelle), un noir et blanc et deux noirs.
Elle avait installé son monde devant la porte sud, sous la véranda. Mais je n’ai jamais pu les approcher, et j’ai même eu du mal à en prendre quelques photos de loin. Parce que je suis une mémère à chats anxieuse du bien-être des petits, je mettais deux fois par jour dans une grande écuelle de petites croquettes super luxe pour chatons (pas de conserve, qui attire trop les autres chats). Pas de problème pour l’eau, il y a une bonne dizaine de plats, pots, vieilles casseroles autour de la maison, dont je change l’eau tous les jours. Sans compter ma petite fontaine solaire (ah, je n’ai pas encore parlé de ma petite merveille… à faire !). Et connaissant l’épreuve que les mères font passer aux chatons, mais aussi leur horreur d’être dérangées, je ne les ai pas dérangés, justement. Mais non, l’heure de l’épreuve avait sonné pour ces chatons.
La présence des petits en train de jouer juste là, de l’autre côté de la moustiquaire, leurs petits cris, les moments de tétées, de câlins, de bagarres, bref cette petite présence, même si je râle comme un pou, « merdalors, quatre chats de plus », me manque. Et évidemment, connaissant les chattes, je regarde partout autour, et je me demande où elle est allée faire subir l’ordalie des chatons à ses petits encore tout dodus…
Ce comportement se vérifie pratiquement à chaque portée : à un moment donné, les mères emmènent loin les petits. Parfois, on ne les revoit jamais, parfois on voit revenir les plus forts, les survivants. Pourtant, Syros est loin de Sparte… (je ne suis pas éthologue, mais à force d’observer cela, et surtout les circonstances qui entourent ces départs, je suis persuadée qu’il ne s’agit pas de chattes « dérangées » par l’humain, ou par les autres chats, ou par un élément quelconque de l’environnement. Mais vraiment d’une mise à l’épreuve, que j’appelle donc l’ordalie des chatons).
Les mères chattes, ce sont vraiment de drôles de types. Je me rappelle un chaton, un petit rouquin aux yeux pervenches absolument irrésistible. C’était encore une fois à Poseidonia, à mes « débuts ». Lazare, je l’avais appelé, et c’était un chaton épileptique. Sa mère passait son temps à déplacer sa petite famille sauf lui, qui restait en arrière, tout seul, parfois en plein soleil. Elle ne le tuait pas, mais elle se contentait de le larguer. Je le retrouvais seul, souvent en pleine crise, je le mettais à l’ombre un moment, puis le rendais à sa mère. Lazare avait à peine le temps de téter un peu qu’elle se tirait de nouveau avec les autres. Mais j’ai fini par m’en occuper moi, après un épisode vraiment impressionnant par la détermination de la mère : un matin, je cherche Lazare vers la petite famille, et point ne le trouve. Je commence à chercher un peu partout, au sol, lorsque je lève la tête : elle l’avait pendu bien en hauteur dans une fourche de laurel. Il se débattait, mais son corps trop lourd l’empêchait de se rétablir sur une des branches (il n’aurait pas été capable de monter dans le laurel tout seul, il était vraiment très handicapé). Cette mère n’en voulait tellement pas qu’elle l’avait pendu ! Le message était on ne peut plus clair. Ce petit chaton était une merveille, drôle, joueur, joli comme un cœur. Il a survécu quelques semaines, mais les crises d’épilepsie sont devenues très violentes, et fréquentes, jusqu’à une douzaine par jour. Il en est mort. Lazare.
J’ajoute :
Les mères chattes que je connais accouchent dans des endroits relativement protégés. On a tous et toutes connu des accouchements dans des tiroirs, des fonds d’armoire, des panier à linge, etc. Et même sous le duvet du lit. Lorsque les chatons commencent à s’autonomiser un peu, en général quand les yeux commencent à s’ouvrir, la mère les déplace dans des lieux plus pratiques. Je n’en fais pas une généralisation, mais disons que j’ai vu cela plus souvent qu’autre chose. Entre autres, je n’ai jamais connu de chatte faisant tout le processus d’élevage des petits, de l’accouchement au sevrage, au même endroit. Pour autant qu’elle en ait la possibilité, bien sûr. Mais pour répondre dans le texte au scepticisme de Gavroche ci-dessous dans les commentaires, j’aimerais savoir, si vraiment il s’agit de mettre en sûreté les petits, pourquoi la mère chatte les emmène au loin toujours au même âge ? Toutes les chattes ne le font pas, mais quand les chattes pratiquent l’ordalie, c’est toujours au même stade de développement des petits. Objectivement, s’il y a insécurité, elle est bien plus grave avant, quand les petits sont aveugles, ou quand ils font leurs premiers pas. Or, non, la mère chatte ne bouge pas durant cette période. Par contre, là, les quatres chatons disparus étaient petits, oui, dodus, oui, hirsutes et charmants, mais les yeux avaient la couleur définitive, ils étaient proches de la période de sevrage (la plus critique dans la vie du chaton), ils jouaient, s’amusaient à « chasser » (des brins d’herbe, des petits bouts de truc vague), se bagarraient, grimpaient aux arbres, en descendaient également. Ils étaient encore très petits, mais justement à l’âge des chatons qu’on trouve dans un buisson, au milieu de la route, sous une voiture…
Je me demande qui, dans ce bas monde, a la possibilité, l’envie et le regard pour observer la vie des chats, plus et mieux que Zozéfine de Chroussa. En tout cas, si elle n’est pas éthologue, « les chats de syros » devraient être une référence pour tous les apprentis éthologues ! Sans rire, c’est impressionnant. Pour ma part, j’enrichis mon vocabulaire à chaque nouveau billet. Après spicillège, voici ordalie. Le problème, c’est qu’on n’a pas trop l’occasion de les placer dans la « vraie vie » !
Cette sélection par l’ordalie me fait penser à une autre sélection encore plus brutale et encore plus en amont. Il paraît qu’à la rencontre d’un spermatozoïde avec un ovule, il y a une période de 12 heures de probation chromosomique après laquelle « quelque chose » ou « quelqu’un » décide si le projet de vie sera viable ou non. Résultat : il n’y a que 10% des rencontres chromosomiques qui passent le test de vie. Le reste « passe » avec les prochaines menstruations. Je l’ai entendu pour la reproduction humaine, mais ça doit bien être la même chose pour la vie animale.
A propos de vie et de mort, quelles nouvelles de Copain ? Pas celle « d’ici », c’est-à-dire de là-bas, mais celle de là-bas, c’est-à-dire d’ici ? Aux dernières, la flamme vacillait. La pensée de ce Copain m’accompagne avec émotion.
Salutations chaleureuses à tous les amoureux-ses des chats, aux pépères et z-et aux mémères à chats, de la part de l’un d’entre eux !
doux djizusse, « seulement » 10% ? et on est déjà tellement autant ? je n’ai rien contre les individus, je suis même tout contre dans mes pensées, mais toute cette masse humaine destructrice est juste terrifiante.
le copain de là-bas est mort. sereinement, dans les bras de son « père ». mais il est mort. la mort est, quoiqu’on en dise, le scandale de la vie. sa truanderie.
tout d’un coup me revient un : « bonne chance avec ta mort ! » qui me fait bien rire. a posteriori. n’est-ce pas flip ?
je suis très triste de leur départ je sais pas où: je regarde à travers la porte-moustiquaire, et la table est vide. j’avais l’habitude de les observer discrètement et je me régalais de les voir vivre là dehors, la vie étant essentiellement une suite à l’ordre non fixe : téter, dormir, jouer, manger, boire, pipicaca. mais la table est vide aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir été abandonnée !! chaque fois, je me sens furieuse contre ces mères spartiates, de façon parfaitement irrationnelle et peu raisonnable. chaque fois, je me dis que la nature a bon dos.
Je comprends tout à fait ton désarroi, Zoze… je serais probablement dans un état d’inquiétude bien pire que le tien, les chercherais partout, même si l' »ordalie » (nouveau mot pour moi aussi, on s’enrichit en lisant ce blog) est têtue ;o)). Mais qu’est-ce qu’elles ont avec leurs portées… Peut-être sont-elles appelées par leurs hormones et emmènent-elles tout leur petit monde avec elles, pour aller fricotter avec les matous du coin…
Ma copine Angèle, qui observe beaucoup ses mères chattes (elle en a 3 dont 1 se retape d’une stérilisation), hébergées en bas dans une espèce de « petite cave » (avec porte) dit que « Mirabelle » est une bonne mère très gentille avec ses petits, mais que « Cerise » (Angèle est très bucolique) donne des « volées » à l’un de ses deux petits, le noiraud… parce qu’il est particulièrement malicieux… mais Angèle dit que Cerise est une mère plus « brutale » que Mirabelle… En revanche, quand l’une des mères prend l’air dans le petit jardin derrière (où Angèle fait pousser ses petites plantations), l’autre donne la tétée aux deux portées… Maintenant, les plus vieux doivent avoir bientôt deux mois et sont déjà aux croquettes pour petits chats… mais ils têtent Cerise ou Mirabelle, qui sont probablement soeurs ou 1/2 soeurs… Je souhaite qu’un petit diable anti chatte omnipotente flanque la zone chez la portée qui a disparu, et que les petits (et la mère) reviennent rapidement sur ta table. ;o))
oui, j’ai connu aussi des mères absolues, qui allaitaient tous les chatons du coin quand certaines portées se faisaient sevrer par la mère – qui est vraiment très très dure dans ces moments-là. il y a eu Zizette, ah Zizette !! noire et blanche toute plumeuse, un peu comme Kéti, avec des yeux verts fluorescents magnifiques et surtout en forme d’amandes. je me rappelle un jour, elle était couverte de chatons, couverte, une bonne dizaine de petits en train de téter, de jouer, de dormir sur, vers, à côté, devant elle. et je te dis pas le concert de ronrons, le plus fort étant le sien, à Zizette !
J’ai appris 2 mots, bon sang. Et des choses sur les chats.
c’est quoi, l’autre ?
à part ça, ordalie, c’est un mot connu pour les gens qui s’intéressent au Moyen-Age. même si je me rappelle pas l’avoir entendu dans kaamelott !
« Éthologue », je ne connaissais pas. J’aime apprendre des mots :)
ça, c’est des études qui existaient pas « de mon temps » (il me semble) et que j’aurais aimé faire ! c’est bon pour le scrabble, non ?
Pardon d’avoir été aussi longtemps silencieuse ici… Mais la douleur est encore là, très présente, et j’ai du mal à regarder d’autres chats, et même à commenter.
J’ai quand même pris la décision d’adopter trois bébés … blancs.
C’est con, de souffrir autant pour un chat. Mais ce n’était pas n’importe quel chat.
En tous cas, merci à Flip, d’y avoir pensé, ça me touche beaucoup.
Sinon, pour l’ordalie, je trouve ton récit étrange. Je n’ai pas autant d’expérience que toi (je ne suis pas éthologue :-).
J’ai constaté une seule fois qu’une maman chatte déplaçait ses petits, c’était quand elle ne se sentait pas en sécurité. Du bruit, des gens qui passaient, etc. C’est comme ça que j’ai récupéré Linus, qui n’avait que quelques jours, et que j’ai nourri deux mois au biberon. Même que c’est moi qui ai flippé quand je l’ai sevré… Lui aussi est enterré derrière la maison.
Ma petite Lola, elle, a fait ses bébés dans un placard, quatre étoiles aussi, drap blanc tout propre, changé tous les jours, et je l’ai installée ensuite sur l’étagère la plus basse d’une armoire, que je laissais ouverte. Elle n’a jamais manifesté la moindre inquiétude, ni l’envie d’aller ailleurs. Même notre chienne labrador Indi (morte le 11 septembre 2001) prenait les petits dans sa gueule pour les ramener dans le panier, et Lola n’a jamais rien dit.
Ses quatre bébés étaient magnifiques. L’un d’eux s’appelait Basile…
Bon sang, quand je me retourne sur le passé, je les vois, tous mes enfants disparus. Et j’ai toujours autant de peine.
pfff, je suis ravagée par l’inquiétude et la tristesse : la mère n’est même pas venue manger, alors que ça fait des mois qu’elle est toujours là, matin et soir, et bouffe et dedans et dehors. ce serait par sécurité pour les petits, elle les planquerait à 100 mètres, mais elle viendrait au moins pour manger, car quand les petits étaient là, ça la gênait pas pour aller se balader ailleurs. mais elle n’est même pas venue pour manger, elle est donc allée loin avec ses petits derrière à essayer de la suivre, cette grande brute aux oreilles de chien-loup !