Il était d’un calme souverain. Mais d’un calme étrange. Il est mort de même, calmement. C’était un très long chat, long de corps, long de queue, au regard vert pâle. Tous les gens à chats savent à quel point le contact de leur corps est différent d’un chat à l’autre. Certains sont musclés, denses, d’autres sont tout mous, certains semblent parcourus sous la peau d’un influx nerveux qui les rend électriques. Lui était comme osseux, desséché, et pourtant pas maigre. Roux et blanc. Il avait appris à utiliser les chatières et squattait surtout l’hiver, lorsque la météo pousse les chats les plus indépendants à entrer s’abriter des éléments déchaînés (en hiver, ici, ils le sont toujours, hélas). Il se choisissait un endroit discret, et c’est toujours avec surprise que je le découvrais en train de dormir, sa longue queue recouvrant sa tête. Il n’était pas castré, mais je ne l’ai jamais vu couvrir de femelle. Je ne l’ai jamais vu agresser aucun chat non plus. Le plus souvent, il mangeait dedans. Il s’asseyait, enfin, se posait, massif, immobile au milieu des chats frénétiques d’impatience dans cette grande pièce où je prépare les repas, et attendait que la cohue ait pris fin, pour se diriger vers une écuelle et manger, lentement là aussi. J’aimais beaucoup ce chat calme.
Je l’ai vu s’étioler, ne plus manger : il avait un énorme abcès sous le cou. Manolis l’a débridé, tout en me disant qu’un abcès pareil (je vous épargne les détails) ne pouvait venir que d’un FIV. Je n’ai pas accepté l’examen de sang pour vérifier la justesse de ce diagnostic, trop cher. Et puis, et alors s’il venait à être confirmé ? C’est à courte ou longue échéance une condamnation à mort du chat – la plupart du temps. Il a passé quelques jours à la clinique, sous perfusion et antibiotique, puis je l’ai ramené, toujours aussi lent et calme. Mais dès lors il s’est enfoncé lentement, comme il savait si bien faire, vers la mort. Il ne semblait pas souffrir, mais plutôt s’éteindre, se ratatiner. Et, avec les années et les agonies successives, je suis devenue très très résistante à l’euthanasie active. Si le chat souffre visiblement, j’ai quelques seringues de sédatif en réserve, j’en injecte une dose et puis je descends chez le vétérinaire achever l’opération. Mais sinon, je laisse le chat partir à son rythme – et je souhaite avoir le courage de faire de même pour moi. Une phrase comme « Ce n’est plus une vie » a perdu tout sens pour moi : tant que la vie est la vie, elle a du sens en soi : elle est ce moment singulier entre deux néants.
J’ai posé son corps sur une des terrasses surplombant la maison, sous un massif de sauge.
Parmi mes milliers de photos de chats, victime de ma désorganisation, je n’ai pas retrouvé de photo du Long Etrange avant sa maladie..
A son retour de la clinique :
Il a cherché refuge dans la salle de bains, à l’ombre et au frais :
Et puis il est sorti, et n’a plus jamais eu la force de retourner dedans…
Il est mort là, parmi les vivants, dans les odeurs et les bruits environnants :
Envie de sangloter ;o( … sur tout, sur ce chat calme, qui s’est éteint calmement, sur cette vie de chats que tu essaies de rendre plus douce, sur cette vie d’êtres humains concernés par le bonheur des animaux, sur ces vies qui s’éteignent, qu’elles soient animales ou humaines … nous laissant ce sentiment d’être de plus en plus orphelin…
je ne sais pas si je fais bien de ou de ne pas…le monde euthanasieur médical est récent, avant des millions d’années sans. j’essaie d’être au plus près de ce que je sens profondément pour la situation. mais je suis peut-être un monstre. je sais pas. il me manque, mon long étrange. mais il y en a tant qui me manquent, que je vois encore ici ou là, dans leurs poses habituelles, leurs endroits préférés, leurs petites manies, leur manière de se manifester. ce qui est terrible, c’est que cette vie que je mène m’oblige chaque jour à prendre des décsions qui regardent la vie, la survie et la mort. c’est usant…
Ô, Long Etrange, j’ai envie de te dire, en guise d’adieu, ces vers de Musset :
« Mes chers amis quand je mourrai
Plantez un saule au cimetière.
J’aime son feuillage éploré.
Sa pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
A la terre où je dormirai. »
La dame des chats de Syros, celle qui a tant d’amour pour eux qu’elle se fait chatte pour deviner leurs désirs les plus intimes, les plus graves, cette dame a compris que, parmi l’effervescence de sa communauté chats, tu étais différent. Et elle t’a aimé dans cette différence.
Long Etrange, elle t’a posé, non sous un saule éthéré, arbre du nord, mais sous la sauge, plante drue et odorante de chez toi, de cette île grecque où tu es né et où tu es mort, calmement.
Mais dieu que chaque mort nous laisse, comme le dit Clomani, démunis et orphelins …
Au revoir, Long Etrange…
La mort de mon Copain et la solitude de mon Samba ensuite m’ont contrainte et forcée à adopter 3 petits monstres pleins de vie.
Quand je les regarde vivre (et faire des conneries), ben je me sens bien, voilà.
Quelque part, l’esprit de mes chats disparus demeure, en moi, et en eux.
c’est poignant de le voir s’étioler ainsi.
il semble subir son état, en silence. comment savoir, connaître la souffrance animale ?
celui-là ne se plaint pas, il semble s’économiser.
Que peut bien penser le chat qui meurt ?
cigalette, protège-toi un peu, c’est beaucoup de tristesse, ça.
Long Etrange, beau nom romantique
merci les amiEs pour vos commentaires.
prosaïquement, je crois que le chat qui meurt a très envie d’aller voir ailleurs s’il meurt un peu moins. il fuit sa douleur, son mal-être, sa faiblesse. jusqu’au moment où il ne peut plus fuir. alors il attend. des heures, parfois des jours. je réponds à cela comme je crois être juste de répondre. mais je n’en sais rien. la réponse brutale et compassionnelle, je n’arrive plus à l’assumer. et parfois, je soupçonne qu’elle serait plus compassionnelle pour moi que pour l’autre.
c’est quand tout est fini qu’on réalise à quel point on vit suspendu aux derniers souffles, aux derniers déplacements, aux derniers pipis ou cacas, aux dernières fois où notre bête boit, notre bête qui meurt. c’est comme un couvercle de plomb, on a l’impression que tout est en mineur, même le soleil n’arrive pas à percer. et puis la délivrance arrive, car c’est toujours une délivrance, et ce qui était suspendu repart, jusqu’à la prochaine fois.
ce qui m’effraie le plus, c’est l’état de méconnaissance de moi pour moi-même : est-ce que j’agis de manière monstrueuse, sadique, ou est-ce juste, et suis-je bonne ? aucune idée.