Pour retourner à la plage, avec encore le goût du café grec en bouche, le sac à dos chargé d’eau et de victuailles pour le pique-nique du soir, je dois choisir entre trois chemins. L’un, à partir du quai des bateaux de pêche, monte vers Aghia Pakou, la chapelle qui domine et Arméos et Galissas, et qui, certainement, a pris la place d’un temple ancien célébrant l’Helios de l’iliovassilema (ηλιοβασίλεμα, le coucher du soleil, textuellement le « royaume du soleil »). C’est le chemin « J’ai la niaque, et je peux monter ces marches ! », car, contrairement à la plupart des monopatia (μονοπάτια, chemins) construits du temps des paysans montant leur âne, les chemins aménagés ou construits récemment sont visiblement faits par des gens qui ne les monteront jamais plus après la construction.
Une première partie est en dalles, impossible de calculer que ce soit à la montée ou à la descente si le pied d’appel est le gauche ou le droit, une seconde partie a été creusée et empierrée par des géants, et pour certaines marches, je dois m’accrocher aux lentisques les bordant, puis une troisième partie moins pentue mais si heurtée qu’on se prend les pieds dans les pierres qui dépassent traîtreusement alors qu’on regarde le paysage environnant. Ensuite, sur la droite, des marches, de nouveau des marches, des marches pour pélerins, pour aller à la chapelle, pour la sentir passer et s’achever avant la petite prière, tandis que si on continue tout droit, après un passage entre des murs et des ruines, à l’ombre des lentisques et des pins, sentant puissamment la résine dès que le soleil a bien chauffé les aiguilles, tunnel rafraîchissant après l’épreuve pédestre, on franchit un collet, et on débouche en haut de la plage – ce n’est pas fini, il faut alors descendre un raidillon lui aussi bien casse-gueule. Inutile de dire qu’on y pense à deux fois avant de se lancer. Mais la peine est modeste, en gros on est à 5′ de Galissas, on peut tout à fait oublier le sel, contrairement à toutes les plages du nord-ouest de l’île, toutes somptueuses, mais qui coûtent très « cher » pour y aller, et encore plus pour en remonter, en général après une journée où le soleil a chauffé à blanc le moindre caillou du monopati et quand on réalise avec horreur qu’on n’a plus à boire qu’une demi-gorgée d’eau bouillante au fond du sac.
Il y a aussi la version super flemme : en effet, dominant la baie de Galissas, un hôtel a été construit étagé sur cette colline. Envahissant, mais pas moche. Et pour que les touristes n’aient pas à grimper la colline pour rejoindre leurs chambres, il y a un ascenseur intérieur, et qui vous dépose à la hauteur du chemin à l’ombre des pins. Mais pour le prendre quand on est squatteur d’ascenseur, il faut traverser tout l’hôtel, prendre le look d’une cliente affairée, garder ses lunettes de soleil, essayer de dissimuler le sac à dos plein de bouffe du côté du mur, bref, toute une comédie à laquelle je renonce toujours en passant devant le porche. Et puis mon côté « Faut qu’on mérite son truc » fait que je sens ça un peu comme de la triche : je veux mériter mon paradis à la sueur de mon front, pas y accéder avec ascenseur.
La troisième voie est la plus belle, la plus longue, avec de petits recks assez ardus pour les sandales et l’équilibre, surtout si on est chargé de vivres. Il faut marcher jusqu’au bout du quai, et le sentier chemine le long de cette presqu’île que domine la chapelle, au-dessus de la mer, serpentant à travers une végétation totalement brûlée par le vent, le soleil et le sel l’été mais incroyablement fleurie et exubérante dès qu’il commence à pleuvoir (SI il pleut). En général, c’est le chemin que je prends pour aller à Arméos, et j’en repars par le chemin des escaliers. Comme celui-ci domine complètement la baie de Galissas, c’est aussi le moment où je m’effare de revenir, à moindre frais, d’un paradis silencieux, juste bercé par le bruit des vagues et la cymbalisation symphonique des cigales, vers la civilisation des hurlements de gosses, des jeux de ballon qu’on reçoit toujours une fois ou l’autre dans la gueule, des parasols et ombrelles géantes, et surtout, le plus catastrophique pour moi, de muzak au mètre, différente pour chaque plagiste, et qui fait BoumBoumBoum à vous décrocher les tympans.
A ce moment-là, je suis toujours envahie par l’envie irrationnelle de prendre mes jambes à mon cou, même très fatiguées, et de rebrousser chemin en courant, émerveillée qu’il existe un paradis discret aussi près de l’enfer de la promiscuité et du bruit mondialisé.
Un véritable road-movie, si joliment écrit <3
j’espère un jour pouvoir t’y emmener, sait-on jamais ?
Il est vrai que tant de beauté se mérite. Je crois quand même que je craquerai parfois pour l’ascenseur sauf si le départ se fait à 6 heures du mat !
Tes photos… Qu’en dire ? Vues d’ici et maintenant, elles me nourrissent et me nettoient.
Merci à toi.
prête à raser les murs ? et à mettre ton paréo « je suis une vacancière et j’aime beaucoup cet hôtel » ? en plus l’ascenseur est super flippant, minuscule avec des volets qui se ferment et s’ouvrent, tu as toujours peur dete faire coincer.
merci à toi pour ton commentaire
Je savoure, comme toujours :-) Tes écrits sont une gourmandise. Merci Sylvie.
… sont autant de gourmandises ;-)
T’as raison : aller au paradis en ascenseur, c’est pignouf !
Décrire le cheminement, quelle belle idée !
petite et somptueuse ballade matinale de mes yeux sur l’écran, avec devant moi la montagne de Haute Savoie, les Onagres encore ouvertes après leur nuit de Belles, 2 plants d’Elichrysum pour avoir l’odeur d’un Sud et des textiles du Japon partout installés, pour l’exposition de cette semaine…
et question chaleur 36 degrés sous l’avant toit devant la cuisine, à mon 900 m d’altitude..
Merci merci et OOOOH combien je me rappelle de ces extraordinaires fleurs de câprier !
baci teneri !
La première fois où nous avons vu des fleurs de câpriers, l’homme de ma vie et moi, je ne sais pas pourquoi, nous nous sommes tout de suite dit qu’elles nous faisaient penser à des yeux de biche dans un dessin animé de Walt Disney, avec leurs longues étamines comme des cils rose et violet, surtout quand elles étaient animées par un souffle de vent.
C’est magique de les voir s’ouvrir le matin.
Thira (Santorin), dont je connais (ou connaissais) chaque pierre, en est couverte et quand elles se déploient sur un fond de terres volcaniques brûlées de toutes les nuances de rouille, brun, noir …, c’est époustouflant de beauté. Elles sont autant de miracles de fraîcheur éclos sur un terrain minéral pelé et sans vie sinon elles, abritant parfois un petit lézard craintif.
Combien de fois ne me suis-je arrêtée sur le monopathi de la crête de la caldera, entre Thira et Oia (malheureusement détruit en quelques années par des milliers de touristes peu attentifs à la préservation de celui-ci), pour simplement les regarder, me saouler de leur spectacle avec parfois, en arrière-plan, les bleus du ciel aveuglant et métallique de la mer… Rien que d’y penser et de l’écrire, j’en ai les larmes aux yeux de nostalgie.
J’ai beaucoup crapahuté dans de nombreuses (si l’on peut dire) îles, les fleurs de câpriers ne m’ont jamais parues plus belles, plus émouvantes qu’à Thira.
Du coup, me revient aussi cette odeur de curry de l’Helichrysum stoechas des terrains secs et caillouteux, la bouffée de leur parfum en arrivant au sommet du rocher entre Perissa et Kamari, « îlot » sauvage et authentique entre deux lieux devenus horriblement touristiques d’où l’on peut voir quelques cheminées, vestiges des usines de conserveries des petites tomates juniales ventrues, avec leurs sillons comme des godrons verticaux, si typiques et si savoureuses …
Des souvenirs du flanc Est, qui était encore méconnu des vacanciers et aujourd’hui massacré par un tourisme débridé et effrayant.
Qu’il me tarde de retrouver dans une île éloignée de tout cette pollution visuelle et sonore, vacarme et fureur. Juste le souffle du vent et le bruit des vagues dans le silence, sur lesquelles résonne parfois le bruit bourdonnant du moteur diesel d’une petite barque et comme tu l’écris si bien, Sylvie, l’étape d’une terrasse ou d’un cafeneon fréquenté par des Grecs du crû …
J’ai achevé hier la lecture de « Un été avec Homère « . A la page 225, un cours chapitre intitulé « L’hubris par augmentation » m’a fait pensé à toi, reine des chats de Syros, généreuse partageuse des beautés des Cyclades.
Sylvain Tesson commente et philosophe à partir de sa lecture de l’Iliade : « Comme Homère rirait s’il apprenait que nous parlons « d’augmenter la réalité », de repousser les limites, d’explorer des planètes, d’atteindre des espérances de vie de mille ans. Comme ils grinceraient, les dieux grecs, en s’apercevant que des chercheurs de la Silicon Valley se félicitent de recomposer un monde technologique au lieu de se contenter de celui dont ils disposent et d’en protéger la fragilité. Quel étrange phénomène ! On assiste à un enflammement du désir de créer une autre réalité au fur et à mesure que la réalité immédiate se dégrade autour de nous. Plus l’homme salope ses alentours, plus les démiurges du monde virtuel promettent des lendemains technologiques et plus les prophètes annoncent les paradis d’outre-vie. Quelles sont la cause et la conséquence de l’usure du molnde ? Ceux qui veulent augmenter la réalité cherchent-ils une solution à la dégradation du monde ou en sont-ils les accélérateurs ? C’est une question homérique, car elle renvoie à la vénération simple des richesses réelles du monde, au danger de se prendre pour un dieu, à la nécessité de mesurer ses forces, de restreindre ses appétits, à l’impératif de se contenter de sa part d’homme…
[…] … Relisons l’Iliade, écoutons Apollon et sachons qu’il en cuit toujours de souiller le Scamandre. »
« m’a fait pensER à toi… » raaah ! ces p…… de verbes du 1er groupe !
:-(
Salut Sylvie,
Toujours chouette et agréable de lire tes récits et aventures. Mille BIses, à toute isabelle
Même si on en trouve ailleurs, l’hélichryse, son parfum est celui de la Grèce. Le câprier d’Armeos est une splendeur, qui oserait en arracher les boutons ?
il y a sur le chemin de la source un câprier carrément arbustif, avec vrai gros tronc ! c’est très beau comme « arbre » !