De Mati, ne reste rien

La Grèce est en état de choc. Passée la sidération devant l’horreur, viennent les questions. Je vais copier un article de l’Humanité (1): c’est un très bon article qui expose la situation en amont de ces incendies. Je mettrai des liens sur des articles en français et en anglais en bas de ce post. Sur ce blog, je parle rarement, en fait quasi jamais, de la situation en Grèce. Mais les Chats de Syros, c’est la Grèce aussi, pas seulement des chats, une chienne, des oies, et une humaine, et je pourrais résumer ainsi : quand on vous dit que « la Grèce va mieux », N’EN CROYEZ RIEN !

Belle et forte solidarité des grecs, du peuple, pour les sinistrés des incendies, en particulier pour ceux de la zone de Mati (« oeil » en grec) qui déplore la plupart des morts et des blessés, Mati rayée de la carte. Cette zone de villégiature très populaire n’est pas loin d’Athènes, une somptueuse pinède, des petites maisons entre ces pins, des familles, des grands-parents qui gardent les enfants pendant que les parents bossent à la capitale, petites tavernes, les vacances à la mer pour les gens normaux, vous, moi. Mati rayée de la carte. Tandis que le gouvernement se lave les mains, après avoir été absent pendant les tragédies, et qu’il se félicite d’avoir fait du bon boulot (2), au minimum 87 morts, des disparus, des blessés les poumons explosés, gravement brûlés, des familles décimées, des vieux, des gosses, des gens, plein de gens qui, s’ils n’ont pas aussi perdu la vie, ont tout perdu. Et le bilan aurait été effroyable de nuit… Mati rayée de la carte.

plus d'une douzaine de départs de feu simultanément, en pleine canicule et sous un vent de sud-ouest à beaufort 9 jusqu'à beaufort 12

Plus d’une douzaine de départs de feu simultanément, en pleine canicule et sous un vent de sud-ouest beaufort 9 jusqu’à beaufort 11.

 

Mati au bord de la mer, un lotissement en amont, et entre le village et le lotissement, une belle zone qui pourrait bien avoir trop fait saliver un promoteur.

Mati au bord de la mer, un lotissement en amont, et entre le village et le lotissement, une belle zone qui pourrait bien avoir trop fait saliver un promoteur.

 

Le feu a mis une heure et demie pour descendre la colline, dévaster et rayer de la carte Mati. Il avançait à 70km/h et passait de pin en pin.

Le feu a mis une heure et demie pour descendre la colline, dévaster et rayer de la carte Mati. Il avançait à 70km/h et passait de pin en pin.

Ce jour-là, à Mati, en pleine canicule (40°), et par un vent de sud-ouest comme on n’en avait plus connu depuis 8 ans dans la région (entre beaufort 9 et beaufort 11), le feu a pris au-dessus du village (presque sûrement criminel), s’est propagé de pin en pin à 70km/h (un cheval de course au galop fait 60km/h), et en une heure et demie, Mati était rayée de la carte. Le feu, dans la région, ce n’est pas vraiment extraordinaire, les gens ne sont se pas affolés tout de suite, et puis aucune alerte de la mairie, rien, pas un officiel alertant assez tôt les habitants pour qu’ils sortent du piège. Soudain, ce feu dévorant tout sur son passage, à très haute température (des voitures ont littéralement fondu), et courant à 70km/h est là, juste là derrière, c’est allé si vite. Chaos de l’embouteillage causés par des gens essayant de s’enfuir en voiture, où beaucoup sont morts.

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Panique infinie parce que tout le front de mer est privatisé, bâti, grillagé, muré, droits du propriétaire alors que toutes les côtes devraient être libres d’accès, difficile de courir vers la plage avec tous ces immeubles construits sur le rivage, panique infinie parce que tant de gens se sont retrouvés face aux flammes et leur fuite bloquée par un mur (3). On a retrouvé ainsi 26 personnes d’un coup, en petits tas carbonisés, qui probablement dînaient gaiment à la taverne, retrouvés dans un champ fermé par la falaise, à moins de 20m de la mer. Des vieux, des gosses, des gens enlacés. Et les petites jumelles et leurs grands-parents (4)

On croit toujours que la peur donne des ailes, mais c’est faux : non, personne ne peut soudain s’envoler par-dessus les murs, ou les grillages pour sauver une vie, celle de son petit-enfant ou une autre, n’importe laquelle, loin de cet enfer. On est juste paniqué, étouffant de fumée et d’air brûlant, même pas le temps de regretter d’avoir hésité à prendre quelques papiers, son sac, quelque chose avant de prendre la fuite. Non, on ne devient pas Superwoman ou Superman quand on est pris entre le feu qui court vers vous et le grillage. Ou sauter dans la mer, peut-être, depuis la falaise ? Toute cette côte est une succession de petites plages (avec les maisons, les murs, et les grillages qui vont avec) et de falaises : une gamine de 15 ans pour fuir le feu s’est tuée en sautant dans le vide.

Pour voir comment c’était « avant », voilà une petite vidéo par drone. On comprend extrêmement bien tout cela, les grillages, les murs, les falaises, les pins, les maisons, ce qui était douceur de vivre qui est devenu folie du feu

 

 

La chaleur était tellement infernale que les barques arrivées pour sauver les gens qui avaient atteint la mer ne pouvaient pas approcher à moins de 50m. Gens blessés, brûlés, à moitié asphyxiés, portant qui un petit-fils, un mari, une amie, un gosse inconnu, un chien affolé, entrant dans l’eau bouillante, parfois y attendant 5 heures des secours, ou nageant vers les barques, se noyant. Un témoignage parmi d’autres, parmi des centaines  d’autres : « On s’attend à un bilan de 150 morts. »

L'eau, quand l'incendie a atteint les plages, était bouillante tandis que l'air chargé de fumée et de particule brûlait les poumons

L’eau, quand l’incendie a atteint les plages, était bouillante tandis que l’air chargé de fumée et de particule brûlait les poumons.

 

Les gens ont attendu pendant parfois 5 heures les secours

Les gens ont attendu pendant parfois 5 heures les secours.

Peut-être vous demandez-vous ce que vous pouvez faire ? Pour les humains, la solidarité populaire est immense, et le cas échéant vous trouverez certainement une association, comme la Croix-Rouge, ou MSF, qui aura ouvert un compte pour des dons en leur faveur.

Quand un feu progresse à 70km/h, saute de pin en pin, que le vent est à 120km/h, et qu'il fait 40° depuis des jours, la SEULE solution, c'est trop tard, et c'est la prévention

Quand un feu progresse à 70km/h, saute de pin en pin, quand le vent souffle à 120km/h, et qu’il fait 40° depuis des jours, la SEULE solution, c’est trop tard, et c’est la prévention

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Les pompiers ont donné tout ce qu'ils ont pu avec des moyens réduits à l'os par les restrictions budgétaires, les mesures d'austérité. Les hôpitaux qui accueillent les blessés ne sont pas mieux traités par l'Union Européenne ni par le gouvernement. Un pompier : "15 ans de service en tant que pompier saisonnier, avec un salaire de 652 euros, je laisserai mon âme et mon dernier souffle si nécessaire ... Je veux offrir ma maison dans le village de KASTANIA PIERIAS à une famille de victimes d'incendie aussi longtemps que nécessaire"

Les pompiers ont donné tout ce qu’ils ont pu avec des moyens réduits à l’os par les restrictions budgétaires, les mesures d’austérité. Les hôpitaux qui accueillent les blessés ne sont pas mieux traités par l’Union Européenne ni par le gouvernement. Un pompier : « 15 ans de service en tant que pompier saisonnier, avec un salaire de 652 euros, je laisserais mon âme et mon dernier souffle si nécessaire … Je veux offrir ma maison dans le village de KASTANIA PIERIAS à une famille de victimes d’incendie aussi longtemps que nécessaire »

 

Mais les bêtes… Oui, à chaque incendie sans victime humaine, on se pose la question : et les chats, les chiens, les vaches, les moutons, les oiseaux, les taupes, les rats, les insectes, toute cette vie animale sauvage ou domestique ? Et pour cette tragédie, on est aussi en droit de se poser la question. Peut-être 150 morts (il y a encore des douzaines de disparus, des cadavres non identifiables, des gens très très gravement brûlés), mais combien de bêtes, combien de milliers de bêtes, petites ou grandes, à avoir disparu dans ces feux ? Les associations grecques pour la nature peuvent parfois se montrer extrêmement efficaces et diligentes. Et elles, c’est certain qu’elles ont besoin de dons de toutes sortes pour tenter de sauver les bêtes qui ont échappé aux flammes. Ce sera l’objet du prochain post…

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(1) : il est réservé aux abonnés, donc un peu « piraté », mais je pense qu’il devrait être accessible à tous les gens qui se posent des questions… Le vent mauvais de l’austérité souffle sur les flammes

(2) : Pas d’excuses, pas de démission, « pas d’erreurs » ?  (en anglais, mais très lisible avec GoogleTraduction)

(3) : Plus d’espoir pour les petites jumelles Vassiliki et Sofia  (en anglais)

(4) : Bilan provisoire : 88 morts dont 3 enfants

Le texte de l’article dans l’Humanité :

Les politiques de protection de l’environnement et de prévention des incendies ont été, elles aussi, sacrifiées sur injonction de la troïka. Le budget des pompiers a été tailladé. Conséquence : une vulnérabilité grecque accrue face au feu.

«Plus de nourritures ni de vêtements dans la municipalité de Marathon. Ils ont besoin de volontaires. » « Hébergement à Isthmia pour douze personnes dans les zones touchées ». Entre les cruelles photographies d’enfants disparus, des messages de solidarité, comme des lueurs d’espoir dans le paysage de cendres laissé par les incendies en Attique et dans le nord du Péloponnèse. Sur les médias sociaux, les Grecs s’organisent, répercutent localité par localité les besoins des sinistrés, eau, vivres, vêtements, médicaments, relaient les appels au bénévolat, proposent un toit à ceux qui n’en ont plus. Hier, alors que le pays comptait encore ses morts, un extraordinaire élan collectif prenait corps, comme celui qui a permis aux Grecs de rester debout face au sadisme austéritaire de la troïka, comme celui qui a rendu possible l’accueil de centaines de milliers de réfugiés bloqués aux portes de l’Europe forteresse.

Les pompiers manquent cruellement d’équipements

Encore une fois, la société supplée les défaillances d’un État laminé par huit ans d’austérité. Les politiques environnementales, la lutte contre les incendies, la gestion durable des espaces forestiers n’ont pas échappé aux sévères restrictions budgétaires imposées au pays. Dès 2012, le budget alloué à la sécurité civile a été amputé de 25 %. Quant aux pompiers, ils ont vu leurs effectifs tailladés. D’après les statistiques de l’Association internationale des services de secours et d’incendie, leur nombre, en Grèce, est passé de 18 559 en 2008 à 15 660 en 2015. Ils disposaient en 2009 d’un budget de 452 millions d’euros. L’an dernier, celui-ci plafonnait à 354 millions d’euros… Conséquence : les pompiers manquent cruellement d’équipements, de protection individuelle appropriée et ne disposent pas même d’un uniforme de rechange. Dans les zones touchées cette semaine, certaines bornes d’incendie étaient tout simplement hors service, faute d’entretien. Le ministre de l’Intérieur, Panos Skourletis, a explicitement mis en cause l’étranglement austéritaire : « L’achat de nouveaux avions ou hélicoptères est nécessaire, depuis 2000, pas une seule vis n’a été remplacée », a-t-il expliqué à l’agence de presse Ana. Même le « fonds vert » créé en 2010 par voie législative pour financer des programmes de protection de l’environnement, de surveillance des zones protégées, de lutte contre les incendies et de reforestation n’a pas été épargné par la voracité des créanciers. L’essentiel de ses ressources est aujourd’hui affecté… au remboursement de la dette !
Les dangers d’un urbanisme anarchique

Au-delà des moyens consacrés à la lutte contre les incendies, les politiques de prévention, elles aussi, ont été sacrifiées. Les plans locaux et régionaux qui prévoient l’ouverture de voies pour faciliter l’accès aux zones forestières en cas de feu, l’installation de réserves d’eau et le débroussaillage des espaces exposés aux risques d’incendie ne sont pas, ou peu, mis en œuvre. Ces plans, lorsqu’ils sont élaborés, ne revêtent d’ailleurs, du point de vue de la loi, aucun caractère contraignant : ce sont de simples compilations de recommandations.

Ces failles dans les stratégies de prévention se conjuguent pour le pire avec les dangers d’un urbanisme anarchique qui laisse proliférer depuis des décennies, surtout en bord de mer, des constructions souvent illégales, dispersées sur des zones plantées d’essences pyrophiles, comme le pin. C’était le cas à Mati, localité rayée de la carte à une quarantaine de kilomètres au nord-est d’Athènes, où se concentrent l’essentiel des victimes des incendies, cette semaine. « Les pins étaient vieux, très hauts et gros : tout le combustible nécessaire pour que les flammes enflent et courent, dégageant une énorme charge thermique », explique à l’AFP l’ingénieur des eaux et forêts Nikos Bokaris. « Même dans des pays disposant d’énormes moyens de lutte contre le feu, le défi posé par la coexistence entre tissu urbain et milieu forestier est énorme », souligne encore Kostis Kalambokidis, géographe et expert en catastrophes naturelles. Là encore, les injonctions de la troïka ont aggravé la vulnérabilité du pays face aux incendies. Au nom de la promotion des investissements touristiques, les créanciers ont dicté à la Grèce des lois favorisant le bétonnage de zones écologiquement sensibles, légalisant les constructions illicites et encourageant la vente du littoral à la découpe. « Le feu n’a pas attendu la crise pour brûler, mais il est certain que l’assèchement financier des services publics n’arrange rien », résume Nikos Bokaris. Comment, dès lors, ne pas entendre des accents de cynisme dans les déclarations de Jean-Claude Juncker, lorsqu’il promet que la Commission européenne qu’il préside « n’épargnera pas ses efforts pour aider la Grèce » ? Athènes, qui a déclenché le mécanisme européen de protection civile, a reçu les offres d’aide de Chypre, de l’Espagne, de la France, de la Bulgarie, de l’Italie, du Portugal et de la Croatie. Mais, déjà, le bilan de ces feux meurtriers dépasse celui des terribles incendies de 2007. Cette année-là, 77 personnes avaient péri dans le Péloponnèse et en Eubée.
Rosa Moussaoui

9 thoughts on “De Mati, ne reste rien

  1. Moi aussi….On se sent tellement impuissant à aider, et la RAGE du mal fait par des politiques ANTI-HUMAINES qui font que les moyens de protection des populations ne comptent pas, sans doute pas « rentables »….. Quel monde pourri !
    DE TOUT COEUR AVEC TOI SYLVIE, AVEC VOUS TOUS EN GRÈCE.

  2. oui dis nous quand tu as les noms de refuges et autres aides pour envoyer de l’argent…

    une des photos les plus poignantes que j’ai vu d’ailleurs, c’est celle d’un vieil homme hagard, serrant un chat dans ses bras…

    • Oui très poignante photo moi meme je l’ai partage sachant cependant qu’elle n’a pas été prise en Grèce mais d’un pays tres proche et pas a la meme saison non plus.

  3. demain, je poserai quelques photos et adresses pour les bêtes. mais parmi les photos, pas celle de ce vieil homme : si on regarde bien comment sont habillés les gens, ils ont de petits chapeaux ronds, pas grecs du tout. maia turcs, il neige, c’est en janvier, et pas en juillet sous un soleil torride. c’est une belle photo, mais elle n’a rien à voir, la preuve : https://listelist.com/kedisine-sarilan-ali-amca/
    je m’efforce avec des filtres de ne sélectionner que des photos qui concernent ce dont je parle

  4. PEUT ON AIDER TOUTES CES PERSONNES ET COMMENT ?
    LES LARMES DEVRAIENT NOUS DONNER LA FORCE DE NOUS DÉPASSER.
    MÊME SI NOUS SOMMES LOIN AVEC NOTRE COMÉDIE NATIONALE RT PRÉSIDENTIELLE MARIE DIT NOUS CE QUE NOUS POUVONS ET DEVONS DONNER À CETTE NATION EN DÉTRESSE.
    MERCI

  5. EXCUSE MOI SYLVIE CETTE CATASTROPHE M’A FAIT OUBLIER TON PRÉNOM.
    CELA NE CHANGE RIEN.
    J’ AI QUELQUES MÉDICAMENTS ET MILLE ET AUTRES CHOSES.
    TOUJOURS MERCI

  6. Merci pour cet article très édifiant ♥!

    Et, qu’est-ce qu’on fait de toutes ces piscines remplies d’eau à ras du bord?
    Il faudrait créer un système de pompes hydrauliques qui s’enclancheraient automatiquement en cas d’incendie et videraient la piscine pour une première intervention.

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