Le village des chats
Il était une fois, dans un petit village de Gascogne, deux gentils paysans, Vincent et Mariette. Vincent était bûcheron, et Mariette l’accompagnait souvent dans la forêt pour faire les fagots. Certes, ils travaillaient très dur, mais ma foi, leur table était finalement bien garnie, avec leurs quelques poules, le cochon qu’on tuait tous les ans, les légumes du potager et les fruits du jardin. Ces deux-là étaient mariés depuis trois ans, lorsque Mariette mit au monde une très jolie petite fille, qu’ils appelèrent Angéline.
Hélas, hélas, les histoires d’amour finissent mal. Un jour Vincent mourut, écrasé par un arbre qu’il était en train de couper. Et Mariette, inconsolable, se laissa mourir de chagrin. Deux mois plus tard, une de ses voisines la trouva morte, tenant la petite Angéline dans ses bras.
Elle décida alors d’adopter le bébé, qu’elle éleva comme sa propre fille. Angéline grandit avec les autres enfants, et devint comme leur sœur. Et l’histoire raconte que la petite Angéline aimait beaucoup les chats. Où qu’elle aille, il y en avait toujours deux ou trois autour d’elle. La nuit, ils dormaient avec elle dans son lit. Elle partageait même souvent son écuelle avec eux.
Les années passèrent. Angéline devenait une belle jeune fille. Elle aidait ses parents aux champs, et elle était toujours accompagnée de ses chats.
Cette belle vie tranquille ne dura pas. Durant trois ans d’affilée, les hivers furent très rudes, le printemps et l’été furent si pluvieux que les récoltes furent inexistantes. Ce qui devait arriver arriva, une grande disette, malgré la distribution de nourriture par le bon seigneur du lieu, les villageois commencèrent à mourir de faim. Ils pensèrent alors aux chats, si nombreux dans le village, et décidèrent d’en faire de la gibelotte.
Les parents d’Angéline, sachant combien elle aimait les siens, acceptèrent qu’elle garde un chat et une chatte, à condition de bien les cacher, car les voisins affamés ne songeaient qu’à leur tordre le cou. Angéline enfermait donc tout le jour ses deux minous dans le grenier, et ne les laissait sortir que la nuit, pour chasser. Mais la famine s’accentuait et beaucoup de villageois mouraient. Angéline et ses parents arrivèrent péniblement à subsister, en récoltant des racines dans les bois, quelquefois des champignons, piètre pitance. Très amoindris, ils purent néanmoins surmonter cette triste période et des temps plus cléments permirent enfin de récolter de quoi vivre.
Mais dans le village, tous les chats avaient été mangés. Les beaux jours étant revenus, les greniers étaient à nouveau pleins, et les rats avaient proliféré au point de menacer les récoltes. Angéline, avec des précautions infinies, avait pu cacher ses chats et en trois ans, bien sûr, ils avaient eu plusieurs portées. C’était une vingtaine de chatons qui s’ébattaient joyeusement dans le grenier. Heureusement, la maison était isolée.
Les villageois se lamentaient devant les ravages causés par les rats. Angéline leur annonça alors qu’elle allait lâcher une vingtaine de chatons, et que les habitants pourraient les adopter. Du coup, tous les rats disparurent, et c’est ainsi qu’Angéline sauva son village d’un nouveau fléau.
La légende dit aussi que le visage d’Angéline, au fil des ans, ressembla de plus en plus à celui un chat, au point que ses oreilles se transformèrent en oreilles de chat.
C’est en écoutant une grand-mère raconter à ses petits enfants la légende des chats d’Angéline, qu’un sculpteur Orléanais aujourd’hui décédé, Maurice Serreau, eut l’idée de la faire revivre en déposant des sculptures de chats autour de la place.
Le village s’appelle La Romieu, dans le Gers. Il va de soi qu’aujourd’hui comme hier, les chats y sont les bienvenus…